PETIT CONTE EN FORME DE LEÇON Il était une fois un petit enfant. C'était un petit garçon ou une petite fille. C'est selon. L'enfant avait beaucoup d'amis. Entre trois et treize. En tout cas, plus qu'il, elle n'en avait dans sa chambre à la maison. À chaque jour, l'enfant rejoignait ses amis dans un grand château ou dans une grotte secrète. C'est selon. C'était assez loin de la maison où il, elle demeurait. Assez en tout cas pour ne pas pouvoir l'apercevoir de son balcon. Assez pour être obligé de s'y rendre en automobile avec maman ou en autobus avec papa. Le château était très grand. Il était assez grand pour que plusieurs groupes d'amis s'y rejoignent en même temps. L'enfant et ses amis avaient beaucoup de place pour courir, se cacher ou se retirer dans un petit coin tranquille. Chaque pièce du château contenait un immense coffre bourré de trésors et de jeux et une grande armoire aux portes vitrées où se tenait une armée de toutous souriants (sauf le petit phoque dont la bouche s'était décousue). Partout, il y avait des coussins et des matelas. Un bon feu réchauffait et éclairait le grand hall d'entrée. Les plafonds très hauts s'ouvraient sur des puits de lumière et tout ce qui amusait les enfants était à portée de la main. Il flottait une douce odeur de miel et de citron, et personne jusqu'à maintenant ne s'était plaint d'un mal de tête. Dans la grotte, l'enfant et ses amis s'amusaient à grimper, à creuser, à se faufiler entre les rochers moelleux où aucune poussière ne se déposait. Dans toutes les salles de la grotte, l'enfant et ses amis marchaient pieds nus sur le sol tiède. Le dôme lisse des plafonds renvoyait l'écho de leurs cris et de leurs chants. Toute la journée, de petits groupes d'enfants se formaient puis se laissaient dans la bonne humeur après avoir passé un temps à dessiner sur les parois avec des craies phosphorescentes. Leurs dessins vivants éclairaient les salles et leurs comptines enjouées leur réchauffaient le ventre. Cette joyeuse marmaille était accompagnée par d'anciens enfants qui voyaient à ce que personne ne manque de rien. Ce n'est pas évident quand rien n'est gratuit. Leur principal souci était de vivre en harmonie avec leurs rêves, avec les autres et selon l'ordre de la nature. Chaque enfant pouvait, en tout temps se confier à l'un d'eux, l'une d'elles ou s'en inspirer pour apprendre à grandir. Les anciens enfants organisaient des jeux où il ne faisait pas mal de perdre. De leurs bras grands et forts, ils, elles enveloppaient le groupe et plus personne ne voulait plus faire disparaître personne. On pouvait leur grimper sur le dos et ils, elles se transformaient en cheval ou en dromadaire. C'est selon. Et le voyage durait jusqu'à ce que le temps ait fini de couler par le trou des serrures ou jusqu'à ce que la forêt ou le désert aient atteint leur limite. Et même si parfois la température était grise, il n'était jamais difficile de trouver une fin aux histoires ou la plage de l'autre côté de l'île déserte que l'on venait de découvrir. Un jour, toute la ville sécha et redevint du sable. La chaleur du jour avait permis à l'enfant et à ses amis de s'évaporer. Le château ou la grotte, c'est selon, retournèrent à leur début et toutes les histoires commencées restèrent suspendues dans des livres imaginaires qui augmentaient la richesse de tous ceux, toutes celles qui les tenaient ouverts entre leurs mains. Et le soir de ce jour, un enfant, petit garçon ou petite fille, c'est selon, eut de quoi rêver pour la nuit prochaine. Il, elle se leva, laissa couler le sable entre ses doigts. Il, elle échangea quelques mots avec l'adulte encore assis, les mit dans sa poche et suivit son père ou sa mère ou les deux. C'est selon. L'enfant savait simplement que demain il rejoindrait encore ses trois ou ses treize amis. Printemps 1998.