LE SECRET DE LA CLEF -- Il y a très longtemps, avant que l'électricité ne soit découverte, et même avant ca, quand tout le monde voyageait à pied (même pas à cheval : tous les chevaux étaient sauvages), ceux qui vivaient sur la terre se servaient de la magie pour se protéger des dangers, de la maladie et des voleurs ou pour réaliser leurs voeux. Une invention merveilleuse leur rendait la vie facile : les clous en métal. Cela leur permettait, par exemple, de construire des maisons solides. Les gens vivaient ensemble dans des maisons solides et plusieurs maisons ensemble, en villages. Dans une région très loin, sur le bord des déserts, une Force régnait sur plusieurs centaines de villages. Je dis « une Force » parce que c'était quelqu'un de très fort qui décidait de tout et faisait savoir à tout le monde ce qu'il fallait faire pour avoir à manger et pour être protégé du danger, de la maladie et des voleurs. Mais personne n'avait vu son visage, personne ne savait qui c'était, cette Force-là, on ne savait pas si c'était un homme ou une femme ni de quelle race il ou elle était. Il y en a même qui pensaient que c'était un animal merveilleux! Et qu'il pouvait parler! Bien sûr, ça ne pourrait pas exister aujourd'hui : nous, nous avons l'électricité. La Force qui régnait sur ce pays n'aimait pas rire, n'aimait pas les surprises et n'aimait pas les nouvelles non plus. Ceux et celles qui n'étaient pas d'accord étaient simplement emprisonnés et si, après plusieurs jours de mauvais traitements, ils ou elles ne changeaient pas leurs idées, on les tuait après d'autres terribles tortures. -- Uu jour, un homme s'est mis à dire qu'il connaissait quelque chose de nouveau. La Force entra dans une colère de toutes les couleurs. Et l'homme, lui, dut entrer dans une prison. Après plusieurs jours de mauvais traitements, les gardiens de la prison demandèrent à l'homme s'il voulait changer ses idées. L'homme répondit que non. Et il ajouta que non seulement il ne changeait pas ses idées, mais qu'en plus il avait en sa possession la clef pour sortir de sa prison. Cela n'était jamais arrivé. Pris de panique, les gardiens se demandaient s'ils devaient annoncer cette nouvelle à la Force. Par contre, ils savaient bien que s'ils Lui annonçaient, ils seraient emprisonnés eux aussi. Ils décidèrent donc que l'homme, leur prisonnier, devait leur rendre cette clef. Mais après avoir fouillé partout dans la cellule et après avoir fouillé partout sur le corps de l'homme, leur prisonnier, les gardiens ne trouvèrent pas la clef. « Est-ce une blague que tu nous fais, l'homme, demandèrent-ils? Si c'est une blague, la Force n'aime pas rire. » L'homme assura que c'était vrai : il possédait la clef pour sortir. Les gardiens commençaient à perdre patience et, de peur de perdre leur travail, ils se mirent à dire qu'il fallait de tuer l'homme, leur prisonnier. « Si vous me tuez, leur dit l'homme, vous ne saurez jamais où se trouve la clef que je possède et quelqu'un d'autre la prendra et annoncera la même nouvelle que moi. » Les gardiens ne savaient plus quoi penser. Certains avaient peur que ce soit la Force qui leur jouait un tour. Celui qui parlait le plus fort demanda au prisonnier : « Qui es-tu? -- Je suis, répondit l'homme, le premier à annoncer une nouvelle dans ce pays. Et à cause de moi, tout va changer ici. » Une grande peur prit les gardiens au ventre. Et ils se mirent à faire de grands gestes de leurs bras et à frapper le prisonnier de leurs poings. Un seul gardien ne leva pas la main sur l'homme. C'est lui qui tenait le prisonnier debout pendant que les autres le frappaient. Chaque coup de poing, ce gardien l'a senti à travers le corps du prisonnier. À un moment donné, le gardien tenait son prisonnier tellement serré qu'on aurait dit qu'ils étaient devenus une seule personne. Au bout d'une grosse heure de torture, le prisonner, dans son dernier souffle, confia le secret de la clef au gardien qui le tenait. Puis l'homme mourut. Épuisés, les gardiens sortirent de la cellule en oubliant leur ami gardien écrasé sous le cadavre. -- On raconte que le pays a changé à partir de cette journée-là. Le secret de la clef s'est transmis de maison en maison. Et cela a continué jusqu'aujourd'hui. On s'est passé la clef d'âge en âge, au bout d'un porte-clef en clous solides. Des clous de la même sorte que ceux utilisés pour construire des maisons solides. Quand j'avais ton âge, j'étais différent de mes amis. C'est donc à moi qu'on a confié le secret de la clef dans ma famille. Toi aussi, tu es différent. Et tu es rendu à l'âge où on peut te confier des secrets très importants. Tu n'as plus besoin d'avoir peur de la Force qui n'aime pas rire, qui n'aime pas les nouvelles et qui n'aime pas les surprises. Si tu es fait prisonnier pour une de ces raisons-là, tu peux sortir de ta prison parce que moi, je te remets la clef. Ça fait de toi quelqu'un de spécial. Si tu acceptes de la prendre, tu dois t'engager à t'en servir seulement pour que le monde change, tu dois essayer d'effacer la peur des choses nouvelles dans l'esprit des gens, tu dois travailler à faire de belles choses. De cette façon, tout le monde dans ton pays voudra manger avec toi. -- Pour Jonathan, le 26 mai 1996, jour de sa Première Communion.