UNE FOIS, DEUX FOIS une fois, deux fois j'ai quitté mon monde j'avais mal à la vie forêt est devenue mon lit une fois, deux fois j'ai appris des noms d'arbres de fleurs et de plantes de sous-bois de mammifères petits et gros d'oiseaux de jour et d'oiseaux de nuit j'ai appris aussi quel était mon vrai nom une nuit la lune et la neige mêlaient leur blancheur à travers les branches j'allais babiches aux pieds duvet au corps mon chat blanc au cou une chouette qui possédait le silence a comblé le vide entre deux arbres ils étaient morts j'étais sidéré une autre fois j'ai marché avec grand bruit et parlé à grands mots j'ai fait fuir deux oiseaux une gélinotte tambour battant et un tangara écarlate unique et réjouissant une fois, deux fois j'ai appris à respirer j'ai appris à aimer j'ai compris que les hommes les femmes sont comme une forêt des enchevêtrements de sentir de se souvenir d'espérer de s'émouvoir pour aller à la rencontre des mondes qui les habitent on y entre sans bruit et on regarde partout et puis une dernière fois je l'ai vue s'effeuiller en ces jours où la promesse de soupe chaude de ragoût fumant de pommes-canelle au four achevait de faire rougir les folioles de ses joues une dernière fois j'ai écouté son silence humide en ces jours de rassemblement de migration d'adieux à ceux qui restent plus un seul oiseau pour chanter mon départ une dernière fois elle a senti mon pas solitaire sur ses reliefs généreux en ces jours de boîtes d'étiquettes de meubles démontés d'hiers balayés d'un seul coup d'oeil j'ai vu les planchers nus se découper sur son sol où s'accumulaient les restes d'un autre été le dernier jour j'ai quitté chacun de ses arbres comme on quitte une femme parfois obligé j'ai été l'homme de ses bois elle est en moi maintenant je panse mes plaies avec ses feuilles fleurs fougères je calme mes tourments avec ses odeurs d'écorce et le chant d'un merle elle flambe en moi maintenant je suis homme de feu et de pierre tu es femme de terre et d'eau je suis ton homme au bout de ton sillon aux confins de ton champ je suis un boisé un rassemblement d'êtres muets une cachette toute désignée pour ces mystères qui te fascinent tant Pour moi, bien entendu, mais aussi pour Suzanne, les 25 mai 2013, 25 octobre 2015 et 25 septembre 2019